Remboursez ! ou La révolution libérale sans violence ni contrainte

L’une des grandes revendications libertariennes est le droit de sécession individuelle, c’est à dire le droit de retirer sa propre personne, ses propres droits et ses propres biens de la « personne morale » de l’état, de son système de droits et de son financement; en bref, de rompre le « contrat social ».

Et l’une des choses les moins absurdes qu’on leur oppose en général c’est qu’ils « doivent » quelque chose à l’état et que donc, il faut qu’ils restent tant que cette « dette » n’est pas payée.

D’accord, très bien, admettons que le candidat à la sécession ait une dette envers la société qui l’a vu grandir, s’est servi de lui comme otage dès sa naissance pour obliger ses parents à participer à la collectivisation, a interdit à ses parents de faire son éducation, l’a forcé à apprendre des choses insensées, l’a empêché de vivre pendant des années et a pillé sans vergogne le fruit du maigre travail qu’il a pu avoir l’occasion de fournir jusque là. Soit ! Puisqu’il est peu probable, dans notre pays perclu d’immobilismes collectivistes, que l’on puisse saisir sa propre indépendance sans risquer sa vie, au moins peut on essayer d’en négocier le prix. Alors voyons plus en détail la facture, en nous basant sur le cas le plus couramment décrié: le jeune diplômé qui s’expatrie à la fin de sa formation.

Voilà le bilan:
– une paire d’années de crèche et autant de maternelle
– 18 années de cours (sur une généreuse base de BAC+3/4 en moyenne pour notre diplômé modèle)
– à l’extrême limite admettons une intervention de la police en protection de ses droits et, toujours sur notre lancée généreuse, une intervention entière de justice en sa faveur, et mettons une ou deux semaines de travail de soldat pour la forme.

Les allocations familliales et de logement ne sont pas comptées puisque financées et récupérées en intégralité par les parents (elles vont sur leur facture, pas celle de la progéniture). La sécurité sociale, c’est pareil: déjà payée (une fortune !) par les parents, et cotisée directement par les étudiants sinon.

Mais bon, voilà, pour la durée de cet article oublions que tout ça a été payé et fourni par des gens sous menace de mort, parfois contre leur gré. Admettons dans un sursaut d’absurdisme que c’est au candidat au départ de rembourser, plutôt qu’à la personne qui a réellement pris la décision de voler les uns et d’asservir les autres pour le bénéfice d’une tierce personne (et le sien au passage, à hauteur de 75 à 95% du butin*).

Bon, la facture a l’air assez salée comme ça… sauf quand on réalise que la restitution devra se faire sur la base d’un seul bénéficiaire, et en nature plutôt qu’en espèces. C’est un fait: le prix auquel tout ça lui a été vendu, il n’a jamais eu aucun mot à dire dessus ! C’est donc un total de 18 ans de cours pour une personne, 4 ans de crèche/maternelle pour un jeune enfant, une semaine de défense du territoire et une intervention de police et une décision de justice que notre sécessioniste doit « rendre » à la « patrie ».

Pour éviter de perdre 18 ans à enseigner à une personne, il pourra avantageusement enseigner six mois à 36 personnes. Pour éviter de changer des couches et nettoyer des bêtises pendant 4 ans, il pourra faire trois mois dans un service de pédiatrie à s’occuper d’une quinzaine d’enfants. Et il ira faire quelques jours dans une milice, quelques jours comme assistant d’arbitre/juge et une semaine de service militaire.

Voilà le « juste prix » de sa sécession: environ un an de volontariat au service des autres, après quoi il n’aura de comptes à rendre à personne, ni d’impôts à payer, ni d’obéissance dûe à qui que ce soit ou de monopoles d’état à respecter. Ca ressemble furieusement au « service civique » qui a défrayé les chroniques l’année dernière, pas vrai ? En dehors du fait que ce tarif est imposé et non choisi, en dehors du fait que le bénéficiaire est receleur contre son gré, bien sûr, et en dehors du fait qu’il récupère en échange sa souveraineté individuelle…

Hormis les considérations théoriques qui étrillent le mythe anti-démocratique du « contrat social », voilà une phase d’évolution de la société, une étape qui pourrait bien être intermédiaire entre aujourd’hui et la future société libre que je souhaite à toute personne sensée et honnête: un pays où les institutions, qui sont ici et aujourd’hui symboles de servitude, de répression, de violence et d’interdiction tout à la fois, sont remplacées par un service civil volontaire proposé, et non imposé, en guise de rite de passage à l’âge adulte et d’accession au rang de citoyen émancipé. C’est une autre façon de vivre la révolution libérale douce de la sécession individuelle proposée par Hans Hermann Hoppe, c’est un modèle que même les plus farouches fascistes roses ne peuvent pas honnêtement accuser d’égoïsme, et il est même probablement viable économiquement.

Aux faits, je te prie, aux faits. Dépeinds donc un peu cette société rêvée, que l’on puisse juger de son réalisme.

Dans la pratique, on pourrait voir le système d’enseignement proposer à tout jeune diplômé, ou toute personne en général ayant terminé ses études, de s’émanciper des impôts destinés à financer l’enseignement public en venant travailler comme stagiaire volontaire non rémunéré pendant 6 mois, dans un établissement (dont la localisation serait mutuellement négociable).

Rendez vous compte, tous les marxistes qui exigent que le service public ne fasse surtout pas de profits seraient ravis: l’éducrassouille nationale échangerait alors ses gains futurs contre un bénéfice immédiat, à l’exact inverse du capitalisme ! Et quel militant socialo-communiste irait s’insurger contre l’engagement bénévole au service des autres ? Alors même qu’ils réclament « plus de moyens », voilà qu’on leur en offrirait sur un plateau.

Sur le modèle de notre système de retraite par répartition, contre lequel aucun bien-pensant collectiviste ne peut trouver à redire, tous ceux qui bénéficient du système à une époque seraient automatiquement les payeurs à une autre époque. Cette proposition est d’une solidité morale remarquable à toute objection collectiviste… sauf une: que les bénévoles « prennent » le travail des fonctionnaires (mais n’oublions pas que les fonctionnaires pourraient eux aussi profiter de l’offre en bossant un an gratos et être libérés, auquel cas personne n’aurait « volé le travail » de personne). Il faudra donc quand même s’attendre au départ à une méfiance voire une franche hostilité des administrations vis-à-vis des bénévoles… mais bon, c’est malheureusement inévitable, et ce n’est pas en fuyant la confrontation que les Noirs ou les homosexuels ont obtenu plus d’égalité des droits, dans le passé.

La mesure permet d’économiser massivement l’argent public, immédiatement, ce qui rendrait possible de sortir de divers « trous » dans lesquels l’état est coincé. Cela exigerait bien sûr que les finances aillent combler ces trous plutôt qu’être gaspillées à construire des châteaux en Espagne, comme savent si bien en bâtir nos dinosaures étatiques.

Pour ce qui est des soldats, de la police, de la pédiatrie et des services de justice, il est clair que peu de gens vont devenir du jour au lendemain juge, assistant judiciaire, infirmier, policier, soldat, etc… C’est le problème des coûts de transaction. Et pour résoudre ce problème classique d’économie, on propose la division du travail et la spécialisation des uns et des autres dans ce qu’ils savent faire. Autrement dit: les candidats ont le choix entre tant de places de prof, tant de places de pédiatrie, tant de places de policier, etc… Et ils choisissent ce qu’ils vont faire en négociation mutuelle avec l’administration, suivant leurs souhaits, leurs capacités et les besoins de la société.

Au lieu de faire six mois prof, trois mois infirmier, une semaine soldat, quelques jours flic et quelques jours juge/juré/secrétaire, ce qui exigerait beaucoup trop de travail de formation, ils feraient une durée donnée de l’un ou l’autre rôle (un an prof, six mois infirmier, trois semaines soldat, deux semaines flic, un mois gardien de prison, etc.) pour la même « valeur » totale de service civique (avec des « taux d’équivalence », en fait des taux de change flottants, entre chaque rôle).

Comme le service serait volontaire, ceux qui souhaiteraient continuer à vivre dans le « paradis des travailleurs » en auraient la possibilité: pas besoin de démolir l’état existant, pas besoin de revenir sur les « acquis ». La liberté ne peut pas être imposée, seulement proposée.

Alors, citoyens candidats à l’émancipation, qu’est-ce que vous en dites ?

* Faites le calcul: l’état français perçoit de 4 à 20 fois plus que ce qu’il redistribue vraiment.

Jeu-cadeau: trouvez la paire d’alexandrins que j’ai accidentellement glissée dans cet article !

À propos jesrad
Semi-esclave de la République Soviétique Socialiste Populaire de France.

2 Responses to Remboursez ! ou La révolution libérale sans violence ni contrainte

  1. h16 says:

    Intéressant, mais les collectivistes sont commes les autres : ils aiment palper de l’oseille réelle, ce qui veut dire que, finalement, tout le monde choisissant l’émancipation (ou, disons, une grande majorité), l’Etat deviendrait essentiellement composé de volontaires.

    Et avec des volontaires et 0 budget, même en vendant du muguet le 1er mai, on ne fait pas tourner un syndicat ou un parti, mon bon môssieu !

  2. jesrad says:

    En fait, je ne crois pas un seul instant que le système atteindra ne serait-ce qu’un quart de volontaires au total. Le but n’est pas de transformer l’état français progressivement, mais d’installer une base suffisamment solide, une concurrence viable en face de l’état pour permettre la sécession directe (renégociation du prix de rachat de souveraineté). Comment ? Simplement que les institutions consensuelles (privées ?) que les émancipés pourraient alors monter en quelques années pourraient rapidement profiter de la faillite permanente de l’état français pour prendre des accords commerciaux directs avec ses institutions en parallèle, en particulier l’Armée. De là, la société libre aura la possibilité de mettre en cage le Léviathan, voire même de lui racheter ses institutions.

    Autre chose, la durée d’un an fait que les volontaires travaillent alors que l’institution qui les embauche dispose du budget de l’année d’avant 😉

    Mais je me rends compte que j’ai oublié la dette publique dans la facture… J’imagine qu’elle sera demandée au volontaire pour financer l’institution en question: cela pourrait même introduire une certaine concurrence, avec la Santé Pouxblique, l’Educrassouille Nationale, la Police et la Justice qui feraient des enchères inversées sur le prix du rachat de souveraineté pour attirer à la fois les bénévoles et les sous. Non ?

Laisser un commentaire