Qu’est-ce que l’anarchie ?

Aujourd’hui, dans notre cours de praxéologie, nous allons étudier… l’anarchie !

L’anarchie est l’absence de hiérarchie, c’est-à-dire l’absence d’inégalité de souveraineté entre les individus dans une société: elle est synonyme d’absence de Pouvoir. C’est une vieille idée jamais vraiment bien comprise, parfois même pas par ses propres défenseurs.

Par exemple, très peu de gens savent ce qu’est l’anarchie: contrairement à ce qui est indiqué dans beaucoup de dictionnaires, l’anarchie n’est pas l’absence d’ordre ou de règles, ça, cela s’appelle l’anomie. L’anarchie désigne l’ordre spontané, et non imposé, qui naît entre les gens libres: l’écrasante majorité des aspects de la vie courante sont anarchiques par nature, c’est d’ailleurs pour ça qu’à peu près personne n’a besoin de recevoir des coups de matraque répétés, chaque jour, pour respecter les autres gens.

Par exemple, aucun décret ni loi n’impose au meunier de livrer de la farine au boulanger, précisément là où vous vous arrêtez quand vous avez envie de pain. Personne n’a établi consciemment de plan de distribution de farine, personne n’a conçu de règles de gestion de la fabrication du pain, ni de plan de distribution de ce pain pour répondre à aucun besoin planifié de pain de votre part. Cette organisation spontanée des activités humaines, qui répond aux besoins humains plus efficacement qu’aucune gestion centralisée née de la conscience humaine*, s’appelle la catallaxie. L’anarchie, c’est simplement l’application de la catallaxie à la totalité des activités humaines.

Comment la catallaxie se développe-t’elle spontanément ? C’est un phénomène émergent, c’est-à-dire que c’est le mode d’organisation d’un système dynamique qui requiert le moins d’efforts de la part des éléments individuels qui composent ce système: c’est le chemin de moindre énergie entre les individus, considérés tous ensemble, et leurs objectifs à chacun. Toute activité dans un système dynamique suffisamment complexe tombe dans cet état, spontanément, par le jeu des éléments individuels de ce système.

Si la catallaxie est un phénomène spontané, pourquoi ne vivons nous pas déjà en anarchie pure et parfaite ?

Un système dynamique ne s’organise pas instantanément de manière idéale, il passe par des étapes progressives, mais aussi parfois régressives, de manière brutale. C’est ce que l’on appelle la percolation. Dans chacune de ces étapes, à mesure que le système dynamique (la société humaine) devient de plus en plus complexe, l’organisation idéale gagne des zones de plus en plus étendues à l’intérieur des sous-systèmes d’organisation imposée.

Cela veut dire que l’anarchie complète, c’est inévitable, à moins que l’humanité ne s’auto-détruise avant, ou ne se ramène à un niveau moindre de complexité (avec une bonne petite guerre thermonucléaire globale, par exemple).

Quelles formes a pris l’anarchie dans l’histoire humaine ?

L’organisation spontanée des activités humaines remonte à la préhistoire. Dès le moment où le tailleur de lames de pierre a su convaincre le chasseur d’échanger des pierres taillées contre des quartiers de viande et des baies, est née la première division du travail. Avant cela, le chasseur aurait simplement pris de force les pierres taillées, puis aurait donné (peut-être) au tailleur de pierres un peu de la viande qu’il aurait ramené de la chasse (et il aurait déterminé cette quantité de manière tout aussi fumeuse que les marxistes déterminant la « vraie » valeur des choses).

Dans l’Antiquité, l’organisation imposée des activités humaines prenait généralement la forme de l’esclavage formel:

La société humaine a depuis progressé légèrement, mais en tant que système dynamique elle est encore en phase de percolation. La catallaxie a gagné des zones plus vastes de la société, mais l’organisation imposée des activités humaines, de nos jours, prend la forme de l’interventionnisme étatique (c’est l’esclavage informel):

Il y a eu des éclats d’anarchie dans le passé, des sociétés qui se sont maintenues pendant longtemps sans appliquer le principe d’autorité: l’Islande de 930 à 1262 (date de son annexion par la Norvège) en est l’exemple le plus frappant, il y a aussi dans une moindre mesure l’Irlande, jusqu’à l’invasion de Cromwell, la Pennsylvanie des Quakers, et les nombreuses communes autonomes du moyen-âge…

L’intrusion grandissante des hommes plus ou moins auto-proclamés chefs dans les affaires humaines est un phénomène récent. C’est une application du principe d’autorité à une échelle jamais atteinte auparavant, qui est rendue possible uniquement par le progrès technique et l’explosion de la productivité humaine. Dans l’antiquité, les exploiteurs prélevaient en moyenne à peu près 10 à 15% de ce que chacun créait par son travail, la faiblesse des revenus obligeant les exploiteurs à laisser les gens profiter librement du reste pour pouvoir survivre. Aujourd’hui cette part atteint 55% en France, et quelques individus plus égaux que les autres sont en mesure de contrôler quasiment tous les aspects de la vie d’un individu: où et qui fera son enseignement et suivant quelles doctrines, quel métier il aura le droit d’exercer, ce qu’il a le droit de vendre et d’acheter ou pas, s’il peut adopter des enfants ou pas, ce qu’il a le droit de manger, de boire, de fumer ou de s’injecter dans son corps à lui, s’il a le droit de vivre avec plus d’un homme ou plus d’une femme, combien de temps il a le droit de consacrer à telle ou telle activité, etc… Louis XIV (« L’état, c’est moi. ») aurait bavé d’envie devant un tel Pouvoir.

Une grande partie de ce Pouvoir tient aux illusions qu’il maintient chez ceux qu’il assujettit: le chemin de moindre énergie est masqué ou caché aux éléments individuels, ils ne savent pas que l’alternative existe. Par exemple, combien de gens croient l’état indispensable pour garantir les droits de chaque citoyen, alors même que Gustave de Molinari a démontré, il y a plus d’un siècle, que ce n’est qu’un business comme un autre, un service que n’importe quel entrepreneur peut proposer ? C’est là la différence fondamentale entre convaincre et contraindre: on convainc en montrant la vérité, on contraint en embobinant par le mensonge.

L’anarchie est apparue en tant que mouvement politique formel en réaction à cette intrusion grandissante dans nos vies, qui a commencé au XIXème siècle quand l’état s’est infiltré dans les affaires. C’est Pierre-Joseph Proudhon qui a inventé le terme « anarchie » le premier. Malheureusement, à l’époque, beaucoup de gens, sous l’influence maléfique du principe d’autorité, ont confondu les « riches » et les « hommes de l’état », et ont gobé le Mensonge de Marx (il dit: « l’échange librement consenti est un outil de domination », comment ne pas y voir de flagrante contradiction ?), et c’est ainsi que la plupart des « anarchistes » de l’époque se sont retrouvés à défendre une position parfaitement anti-anarchiste: essayer de détruire la catallaxie par la contrainte et la violence.

La position de Proudhon commence par être proche de celle de ces fous qui vont devenir anarcho-communistes, anarcho-syndicalistes et anarcho-socialistes: « la propriété c’est le vol »; puis elle évolue sous l’influence salutaire de Frédéric Bastiat: « la propriété c’est la liberté » (comme dans le Droit Naturel !). De là, il devient violemment antimarxiste, même si le capitalisme continue de le perturber. L’anarchie, et son mouvement l’anarchisme, sont baptisés.

Ensuite, à mesure que le Mensonge de Marx se dissout lentement dans les vastes océans de sang et de larmes des 100 millions de victimes des divers communismes et socialismes au XXème siècle (ce hi-score pourrait être battu au XXIème, ne riez pas, il s’agit de votre vie), la raison refait progressivement surface chez les anarchistes. Leur position philosophique étant complètement perpendiculaire à celle des hommes de l’état de leur époque, tout en étant radicalement différente de celle des pseudo-anarchistes qui les avaient précédés (et qui n’ont malheureusement pas encore tout à fait disparu), il leur a fallu un nouveau nom. Formulé par des anglo-saxons, c’est « the libertarians », qui donne en Français « les libertariens » (pour ne pas être confondus avec les sanglants et très incohérents « libertaires »). Ils représentent à l’heure actuelle environ 13% des citoyens des USA, et une part moindre, encore jamais évaluée, de citoyens du reste du monde. Cette proportion est en augmentation, et qui sait ? Après que vous eûtes suivi ce cours, il y en aura peut-être un de plus.

J’ai des raisons de croire que ça n’est que le début. Le jeu des individus dans ce grand système dynamique qu’est la société humaine va en s’accélérant. Où allons-nous ? Vers la Grande Explosion ? Vers l’éclatement des états-nations ? Vers la Culture de Iain Banks ? On verra bien, mais une chose est sûre: ce n’est pas en faisant le mal qu’on arrivera où que ce soit d’agréable, alors cessons de croire aux mensonges, oublions les utopies et les contradictions, ouvrons les yeux pour voir la réalité telle qu’elle est.

Même pas vrai que les libertariens sont tous des anarchistes ! Y a des libertariens qui sont pas anarchistes, on les appelle des minarchistes.


Les minarchistes étant libertariens, ils sont par principe opposés à l’autorité justifiant la contrainte et l’arbitraire, et ça, c’est suffisant pour que je les qualifie d’anarchistes. Ils veulent garder un état, mais cet état n’a pas les caractéristiques qui distinguent un état-autorité d’une quelconque entreprise humaine légitime: ce qu’ils appellent « état », c’est en fait la fusion d’une agence de police privée, d’une agence privée d’arbitrage, et d’une agence privée de défense territoriale. Ce sont un peu des panarchistes qui n’auraient conservé qu’un seul gouvernement-entreprise au lieu de plusieurs se faisant libre concurrence (minarchisme = mono-panarchisme ? :D).

* Tous les pays ayant connus la famine au 20ème siècle, et eux seuls, sans aucune exception, avaient appliqué le socialisme à la production ou à la distribution de nourriture. Vous pouvez vérifier.

À propos jesrad
Semi-esclave de la République Soviétique Socialiste Populaire de France.

10 Responses to Qu’est-ce que l’anarchie ?

  1. h16 says:

    Très bon article. Et jolie iconographie 🙂

  2. Corwin says:

    Peut-être ton meilleur post, excellent (Quoique, Bizarro-Keynes était aussi très bon dans son genre, et m’a donné mal aux côtes pendant un bon quart d’heure)

  3. Namu says:

    Merci à tous ! N’hésitez pas à proposer des sujets pour le prochain détournement cours.

  4. Ping: Qu’est-ce que l’état ? « Ne Cede Malis

  5. BastOoN says:

    Très bon article, je reparcours le site depuis sa genèse, sur le conseil de mon grand frère, libertarien devant l’éternel.

    Je trouve intéressante l’évolution, la clarté des écrits et la convivialité du style.

    Nonobstant, j’ai toujours été heurté par un aspect cosmétique de « notre » mouvement, son nom : n’a-t-on pas trouvé mieux que libertarien voire anarchiste pour le dénommer ? (avec toutes les associations d’idées aussi malheureuses qu’inévitables pour un néophyte qui découvre ce système de pensée / d’ailleurs, c’est amusant, mon correcteur orthographique ne connaissant pas le mot « libertarien », me propose « libertaire » à la place)

    En fait, plus je cherche une dénomination plus intelligente, plus je me rends compte que c’est un problème loin d’être cosmétique.

    En tout cas, merci pour ce site dont je me délecte encore et encore !

    BastOoN

    PS : Vu la date de rédaction de l’article, pouvez-vous me confirmer par mail avoir pu lire ce commentaire, merci

  6. jesrad says:

    Pas de soucis, je vois tous les nouveaux commentaires qui arrivent.

    Pour ce qui est du nom du mouvement, je préfère « agoriste », c’est plus précis, et la plupart des gens n’ont pas été dressés à grogner dès qu’ils entendent le mot comme ça peut être le cas avec « anarchiste » ou « libéral ».

  7. taf says:

    bonjour je viens de lire cet article avec intérêt et vu votre connaissance du sujet je me demandais si vous pourriez me fournir des info sur le systéme de pensée anarchiste car je dois réaliser un exposé ce qui serait un bon moyen de faire connaître ce qu’est véritablement l’anarchie aux autres élève de mon établissement d’avance merci 😉

  8. jesrad says:

    Pour faire un bon exposé, je suggère de lire les Que sais-je sur l’anarchie s’ils sont disponibles: le n° 479 par Henri Arvon qui présente la variante libertaire (collectivisante), le n°2580 sur l’anarchisme de droite par François Richard qui présente les variantes nationalistes ou conservatrices, et le n°2406 sur l’anarcho-capitalisme par Pierre Lemieux, qui présente la variante libérale (et qui peut être lu intégralement gratuitement ici).

    Pour aller au plus profond et comprendre le principe fondateur commun à tous les anarchismes, je suggère de reprendre l’article sur cette page et surtout celui-ci que j’ai écrit plus tard et qui est plus pratique et moins théorique, en plus d’être mieux documenté (désolé, il n’y a pas de bibliographie, c’est un blog ici, pas une thèse de recherche). Ne reprenez pas la liste de civilisations anarchisantes qui s’y trouve, à moins de donner comme source Peter T. Leeson dans Le gouvernement est-il inévitable ?. Vous pouvez vous référer à Fred Woodworth et à sa conception plus large de l’anarchisme que la somme de ses tendances.

  9. jesrad says:

    J’ai récemment appris que le « taux moyen d’imposition » médiéval tournait en fait lui aussi autour des 50%, une fois qu’on compte tout convenablement. Il faudra que je corrige l’article, en attendant, je laisse cette note comme avertissement au lecteur.

  10. Joshua says:

    Bonsoir,
    mon ignorance était totale sur ce qu’est l’Anarchie. Merci d’avoir très clairement éclairé mon humble lanterne. Cette philosophie me parle et correspond à ce que j’aimerais voir éclore. Je vais prendre un peu de temps pour visiter votre site.

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