Qu’est-ce qu’un monopole ?

Aujourd’hui, dans notre cours de praxéologie aléatomadaire, détruisons un mythe particulièrement poussiéreux, si vous le voulez bien… le mythe du « marché libre créant de vilains monopoles ».

Un monopole est un agent unique d’un marché qui détient une part de ce marché telle qu’aucune autre entité ne pourrait en avoir autant, c’est-à-dire qu’il détient une part d’un marché particulier supérieure en valeur à la moitié de la valeur totale de ce marché.

On entend souvent, dans nos contrées paléo-socialistes, de gentils esclavagistes énoncer que le marché libre favorise la concentration des entreprises et, de là, l’apparition de monopoles et, de là, la destruction de la concurrence et, de là, l’extraction indûe de rentes de monopole.

Voyons pourquoi ce raisonnement ne tient pas debout, et d’ailleurs n’aurait jamais survécu à la naissance si le bon sens était suffisamment présent dans ce monde:
– depuis plus d’un siècle que divers marchés libres existent, ils n’ont jamais fait apparaître le moindre monopole capable d’extraire une rente de monopole: chaque tentative n’a fait que faire baisser les prix et n’y a pas survécu. Par contre, les monopoles d’état qui rackettent leurs clients, eux, on n’arrive plus à les compter.
– si un monopole essaie de tuer ses concurrents en baissant les prix, il est la première victime à tomber: s’il vend 100 fois plus d’une chose donnée que son concurrent, il perd aussi 100 fois plus vite son argent que son concurrent. Et pendant ce temps, ce sont les clients qui s’enrichissent.
– si un monopole essaie de racheter ses concurrents, il est obligé de les surpayer: il crée une activité économique très lucrative dans laquelle un entrepreneur monte une entreprise concurrente du monopole, et la revend aussitôt, à la chaîne: cela ruine encore plus vite le monopole.
– et même s’il parvient à éliminer ses concurrents (mettons qu’il ait innové sur les autres de manière significative), sitôt qu’il essaie d’extraire des rentes de monopole, il donne au reste du marché une formidable incitation financière à lui faire concurrence: dès que les prix remontent, les concurrents sont de retour, plus déterminés que jamais. En plus, plus les prix sont augmentés, et plus les concurrents peuvent se permettre d’être moins chers que le monopole pour lui piquer ses parts de marché.

Tout ça fait que le seul exemple approchant de monopole résultant d’un marché libre que je connaisse à ce jour, c’est Google. Est-ce que Google est capable de faire disparaître ses concurrents entièrement en baissant les prix ? Est-ce que Google est capable d’augmenter ses prix pour extraire une rente de monopole et ainsi augmenter ses revenus ? Pas un instant.

Et Microsoft ?

Microsoft, avec ses logiciels Windows et Office, est un monopole bâti entièrement sur un monopole d’état: celui de la propriété intellectuelle. Et pourtant, même avec l’appui des gouvernements fédéral américain et asiatiques, il n’arrive pas à détruire (par la violence étatique) les myriades de concurrents qui, eux aussi, distribuent Windows et Office. L’argent qui est, péniblement, récupéré à travers les rentes de monopole sur Windows et Office dans les marchés intérieurs, cloisonnés, des pays qui appliquent ce monopole d’état, est immédiatement perdu au bénéfice du public sur les gammes de produit de Microsoft qui sont vendues à perte (= tous les autres produits Microsoft). Le résultat ? Plus le marché se déréglemente, plus les clients de Microsoft s’enrichissent sur son dos plutôt que le contraire, en achetant leur Windows et leur Office chez ses concurrents sud-asiatiques sans payer la rente de monopole, tout en profitant des ventes à perte sur les marchés intérieurs. C’est un parfait exemple de comment le marché libre tend à détruire les monopoles. Sans l’état, Microsoft n’existerait pas.

Maintenant mettons à mort le dernier point de ce mythe: la concentration croissante des entreprises.

Un marché n’est jamais parfait: il y a toujours des coûts de transaction. Ce sont les coûts à payer pour rassembler l’information concernant le marché (= trouver un client intéressé par ce que l’on vend), les coûts de transport, l’entropie générée, etc… Au départ, un individu a plus intérêt à s’associer avec un autre faisant le même travail que lui, plutôt qu’à lui faire concurrence, afin de partager avec lui les efforts nécessaires pour trouver un client dans l’espoir que ce client, une fois trouvé, achètera pour suffisamment du résultat de leur travail pour les faire vivre tous les deux plutôt que l’un d’entre eux seulement. C’est pourquoi les entreprises sont émergentes dans cette situation initiale. Mais par la suite, c’est la tendance contraire qui émerge: une fois que tout le monde est associé à tout le monde, chaque individu a plus intérêt à se séparer des autres pour obtenir la totalité de la vente faite au client qu’il a trouvé tout seul, plutôt que de devoir partager avec ses associés. Ces tendances contradictoires trouvent un équilibre changeant avec les conditions du marché, ce qui crée une progression simple, en trois temps:

0) Dans un marché qui commence à se développer, les coûts de transaction sont élevés: il faut beaucoup d’efforts pour mettre en relation l’offre et la demande, avant même d’avoir un produit ou un service à vendre. Dans cette situation, le moindre avantage permettant de faire baisser ces coûts de transaction rapporte plus que la marge sur le produit, ce qui favorise les entreprises les plus grosses (leur taille leur permet d’économiser leurs efforts pour trouver des clients et/ou des fournisseurs).

1) Dans un marché déjà bien développé, les coûts de transaction ont été abaissés par la concurrence continue, qui a sélectionné les méthodes qui marchent (générant moins d’entropie) et étouffé celles qui ne marchent pas aussi bien: l’amélioration du produit lui-même permet de gagner beaucoup plus que l’abaissement (déjà prononcé) des coûts de transaction, et la compétition se fait désormais sur le rapport qualité-prix. Cette situation favorise les entrepreneurs qui innovent: les petites entreprises dites « de niche » apparaissent et se multiplient autour du marché. Souvent, le marché évolue avec cette innovation, et les grandes entreprises qui l’ont créé au départ rachètent les PME innovantes, et leurs inventions avec.

2) Lorsque les coûts de transaction sont suffisamment tombés, il n’y a plus guère de compétition possible sur les coûts de transaction, et en même temps le rapport qualité-prix est partout à peu près le même car il n’y a plus d’innovations valant la peine d’être poursuivies pour améliorer faiblement un produit déjà très avancé: seules les opportunités permettent d’avoir un avantage concurrentiel, et celles-ci sont parfaitement chaotiques (elles ne peuvent pas être concentrées). Dans cette situation, les frais d’administration sont un coût en trop, la structure d’une entreprise la freine, la taille devient un handicap, et les micro-entreprises et les indépendants individuels prennent le dessus.

Voilà la marche normale d’un marché libre: grosses entreprises créant un marché, puis moyennes entreprises multipliant les innovations, et enfin individus; le tout avec des prix qui ne font que décroître. La taille optimale d’une entreprise (celle où elle exploite au mieux les tendances contradictoires entre coûts de transaction et découpage du gâteau) ne fait que diminuer sur un marché qui se développe naturellement; et laissé à lui-même, le marché fait éclater les monopoles et les oligopoles.

C’est ce qu’on peut observer en permanence, même si cette évolution est généralement très lente (un marché met des années, des décennies et même parfois des siècles à mûrir ainsi, combattre l’entropie n’est pas un défi trivial). L’internet, qui est un moyen d’abaissement massif des coûts de transaction, a permis d’accélérer ce mouvement de manière dramatique pour de nombreux secteurs d’activité: en cette période de Noël, de très nombreuses entreprises familiales et mono-personnelles croulent sous les commandes.

Si vous n’êtes toujours pas convaincu, imaginez un monde où vous pouvez, instantanément et sans effort, savoir qui vous paiera combien pour tel ou tel travail (sans durée minimale, vous pouvez faire un heure chez l’un, puis une heure chez un autre, à volonté), où vous pouvez vous téléporter n’importe où dans le monde d’une seule pensée, où vous pouvez savoir immédiatement quels sont les prix pratiqués n’importe où dans le monde pour tel ou tel bien ou service: dans ce monde où les coûts de transactions seraient nuls, il n’y aurait plus d’entreprises, seulement des individus se concentrant sur ce qu’ils aiment faire. Voilà l’évolution ultime poursuivie par le marché libre.

Les fusions-acquisitions et la concentration des intérêts industriels et commerciaux dont on a fait grand cas il n’y a pas si longtemps ne font que retarder l’inévitable découpage des marchés en tout petits bouts, au détriment des propriétaires de ces entreprises (actionnaires, souvent), qui auraient plus intérêt à retirer une rente lorsque la situation de concurrence les avantage, puis à orienter l’entreprise vers la création de nouveaux marchés, plutôt que de laisser la valeur de l’entreprise diminuer à mesure que la situation du marché favorise des entités de taille de plus en plus réduite.

Mais alors, si la concentration ne sert pas les actionnaires, à qui profite le crime ?

Les tendances à la concentration ne servent que les intérêts des états: en incitant la concentration des capitaux (par des avantages fiscaux relatifs, par exemple, ou une réglementation douanière favorable), les hommes de l’état rassemblent le magot en un seul endroit pour s’en emparer plus facilement grâce à la méthode de l’endossement de l’identité fictive de l’entreprise. Ensuite, ces grandes corporations créées artificiellement servent de justification pour subventionner tel ou tel secteur d’activité, permettant un brassage toujours plus important d’argent public, ce qui crée plus d’opportunités de parasitisme (= plus de postes dans la hiérarchie d’état, et plus de captage de richesse). Cerise sur le gâteau: ces grands machins téléguidés par le pouvoir, fabriqués par le Pouvoir de l’état en dépit du bon sens économique (qui va vers l’éclatement, et non la concentration) peuvent servir à faire la guerre économique aux autres états, dans le cadre de la compétition entre les pyramides de sujétion. Le destin de ces grandes entreprises, dont les dirigeants travaillent sous la surveillance directe des grands chefs de l’état (en général, le Ministre de l’Industrie, ou parfois celui des Finances aussi, quand ce ne sont pas carrément les mêmes personnes !), est de mourir au combat (c’est inévitable, leur taille démesurée les rend très peu compétitives à mesure que la taille optimale diminue) au nom du patriotisme économique, et les employés licenciés en masse lorsqu’elles meurent ou souffrent sont autant de munitions électorales récupérées au passage.

En clair: les actionnaires sont trompés, les consommateurs aussi, et le développement mondial est freiné.

Voilà, ce cours est terminé, vous trouverez les sacs à vomi, comme d’habitude, sous vos sièges…

[Post-scriptum]
Wouhou, j’ai droit à un début de confirmation empirique 🙂

À propos jesrad
Semi-esclave de la République Soviétique Socialiste Populaire de France.

9 Responses to Qu’est-ce qu’un monopole ?

  1. jesrad says:

    Note: j’ai volontairement éludé le problème du capital productif. C’est une considération qui ne fait que rendre l’explication plus compliquée sans rien changer au résultat.

  2. A.B. says:

    Tst tst.
    1/ Microsoft n’est PAS un monopole, il a juste une grosse part de marche, mais il existe des concurrents significatifs sur le marche des OS comme Apple et Linux.
    2/ Les lois de propriete intelectuelle étatiques sont peut-être discutables, mais le principe de l’EULA (CLUF) est béton, et Microsoft repose dessus.

  3. jesrad says:

    Microsoft a une part de marché très supérieure à 50%, ce qui fait qu’il n’y a aucune autre entreprise qui pourrait avoir la même taille sur ce même marché: c’est ma définition de monopole. Maintenant, je comprends qu’on puisse le voir autrement: à tout instant, un acheteur a effectivement le choix entre plusieurs systèmes d’exploitation, contrairement à un passager du rail en France.

    Si le CLUF/EULA avait la mondre validité, il serait à l’extérieur de la boîte pour être explicitement inclus dans le contrat de vente. En plus la quasi-totalité de ces « contrats » n’en sont pas puisqu’ils contiennent des clauses irrévocables.

  4. A.B. says:

    En effet l’EULA devrait etre lisible sur la boite. Je pense que MS pourrait vivre avec ca…

    Pourquoi un contrat ne pourrait-il contenir de clauses irrévocables? Un contrat est un accord, un croisement de volonté. Cela ne signifie pas qu’on donne sa volonté à l’autre – elle est belle et bien inalienable – cela signifie qu’on donne legitimité à láutre d’utiliser la coercion pour faire appliquer les clauses du contrat.

  5. jesrad says:

    Je ne le comprend pas comme ça: un contrat est le reflet de la volonté des participants, si la volonté n’est plus reflétée, de fait, le contrat est invalidé, auquel cas il faut procéder à l’arbitrage des violations mutuelles de droit. C’est ce qui ressort de l’interprétation Rothbardienne du droit contractuel: seules les violations de droit de propriété peuvent être retenues contre le violateur de contrat, par conséquent seules ces violations là peuvent constituer un contrat valide. Dans les faits, le contrat est simplement un accord formel de non-poursuite de violations des droits de propriété des uns et des autres.

    Exemple: si je loue un appartement 500 euros par mois, et que je rompt le contrat en partant de l’appartement au bout de 15 jours, de fait, je me retrouve dans une situation (en l’absence de clause compensatoire prévue pour ce cas, ce qui constituerait en fait un « contrat de secours en cas de rupture ») où le proprio m’a volé 500 euros, et je lui ai volé l’usage de son appartement pendant un demi-mois.

    A partir de là, on s’arrange entre nous ou suivant un accord déjà convenu. Par exemple, nous pourrions avoir une clause compensatoire disant qu’il me vend l’usage de l’appartement pour le prorata temporel, rapporté au loyer: il me devrait alors 250 euros. Je peux même rompre la clause compensatoire: imaginons que je parte parce qu’il refuse de réparer les toilettes, nous porterions l’affaire devant un arbitre qui pourrait décider que l’usage d’un appartement sans toilettes pendant un demi-mois ne vaut pas les 250 euros prévus.

    Tout cela implique deux choses essentielles:
    – seuls les droits de propriété peuvent faire l’objet d’une procédure en réparation, donc seuls ces droits là peuvent être engagés dans un contrat.
    – un contrat peut être rompu pendant toute sa durée d’application: un transfert de propriété est immédiat, donc un contrat de vente (sans garantie ni service après-vente) pur est terminé immédiatement après que l’échange ait été réalisé. Une fois terminé, le contrat n’existe plus donc il ne peut plus être rompu. Dans mon premier exemple, je ne peux donc pas réclamer les loyers précédents puisque le proprio et moi avons terminé d’échanger un mois entier d’usage de l’appartement contre un plein loyer, plusieurs fois: ces échanges constituent des accords séparés, qui se sont terminés. Par contre tant que l’accord est en cours (par exemple tant que le marchand garantit contre tout défaut le bien vendu, ou tant que nous continuons de nous rendre service mutuel) le contrat peut être rompu, et alors il faut procéder à un « solde » des violations de l’un envers l’autre. Ce « solde » peut entraîner l’usage de violence légitime, mais seulement parce qu’elle intervient en réparation de violation du droit, et non par « autorisation de faire usage de violence » préalable. En bref: on a toujours le choix, mais les conséquences agréables, elles, ne sont jamais garanties.

    Dans le cas de la divulgation d’information, cela pose un problème insoluble: une fois le contrat rompu, il est impossible de « désapprendre » une information et donc de « rendre » l’information ou sa divulgation. Le fait de connaître une information ne peut donc pas constituer une violation de propriété, ni un acte de propriété en soi. Par contre le fait de divulguer une information constitue un usage de quelque chose qui est en votre possession: la divulgation elle-même peut constituer un service commercial valide, mais pas la possession de l’information.

  6. A.B. says:

    Je suis d’accord avec tout sauf avec le premisse 🙂

    « Seules les violations de droit de propriété peuvent être
    retenues contre le violateur de contrat »

    Tout ce que tu dis apres est correct et peut se deduire de cela, y compris toutes les consequences que tu donnes sur la propriete intellectuelle. Neanmoins pourquoi retenir uniquement cela contre les violateurs de contrat?

    Un contrat c’est un accord entre deux personnes, selon l’evolution des choses, il est evident qu’il peut-etre profitable de changer d’avis, de revenir sur sa decision, mais precisement on s’interdit cette position.

  7. jesrad says:

    Désolé, mais pour moi c’est l’avis présent qui est le véritable reflet de la volonté d’une personne, donc de sa nature, et c’est par conséquent la seule base sur laquelle on peut s’appuyer pour agir dans le temps présent.

    Je ne retiens que les violations de droit de propriété… tout simplement parce que ce sont les seules qui justifient l’usage de la force en réparation ! C’est l’essence même du droit naturel et du libertarianisme, tout autre usage de la force est prohibé, y compris l’usage de la coercition pour faire revenir une personne dans un état de consentement qui n’existe plus.

  8. Ping: Mythologie conservatrice: le “dirigisme salutaire” « Ne Cede Malis

  9. Bertrand Monvoisin says:

    Sur deux segments proches l’un étant un monopoles l’autre livré à la libre concurrence, la libre concurrence à moyen ou long terme fini toujours par l’emporter.

    Depuis 1937 et la création de la SNCF par le front populaire les teansports ferroviaires en France sont un monopole d’Etat. Mais ce monopole doit faire face à la concurrence de la route, et force est de constater que ce monopole est économiquement ruineux. Le monopole ferroviaire doit faire face à la double concurrence de la route et du ciel, du fait d’une infrastructure lourde est incapable de maîtriser ses coûts, les syndicats de la SNCF interdisent toute réforme…

    Si l’Etat essaye à coup de reglementation d’imposer le ferroutage c’est sous la pression des syndicaliste qui veulent avoir le pouvoir de bloquer le pays et d’imposer leur idées « progressistes » à coup de grêves surprises. Quel entrepreneur accepterait de donner à de tels individus le pouvoir de les prendre en otage et de détruire des années de labeurs et de sacrifices ?

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