Qu’est-ce que le crédit social ?

Aujourd’hui, dans notre cours d’économie aléatomadaire, nous allons essayer de comprendre ce qu’est… le crédit social !

Le crédit social est une mythologie bancaire inventée par C. H. Douglas, dans lequel l’argent disparaît progressivement dans un mystérieux trou noir appelé « B ». Pour M. Douglas, en effet, la totalité de l’argent échangé chaque année devait finir soit dans « A », qui est la poche d’un consommateur (qui va donc la remettre en circulation par la suite), soit dans « B » (qu’il définit comme les paiements faits par les producteurs qui ne sont pas versés aux consommateurs). Comme B n’existe pas dans le monde réel (l’argent ne fait que passer d’un consommateur à un autre, il ne disparaît pas du fait de la loi de conservation de masse et d’énergie de cet Univers: apparemment M. Douglas confondait richesse et monnaie), le crédit social est un modèle faux. Mais il a néanmoins des aspects intéressants et peut même être modifié pour fonctionner réellement, une fois débarrassé du « trou noir B ».

Par exemple, l’une des prémisses vraies (donc récupérables) du crédit social est que la quantité d’argent en circulation ne correspond jamais vraiment à la totalité de la valeur disponible dans la société. En effet, la richesse totale du monde ne correpond à aucun moment, avec les systèmes bancaires actuels et leurs fausses monnaies, à la quantité d’argent en circulation. Cela introduit des variations de prix (et donc augmente la variabilité des comportements d’acheteurs/vendeurs, provoquant des cycles chaotiques de récession) qui seraient pourtant en partie évitables si ces deux quantités étaient mieux couplées. C’est d’ailleurs pour ça qu’une monnaie stable est préférable à une monnaie instable.

Comme nous l’avons vu précédemment, les seules méthodes efficaces pour échanger l’information voulue sur la valeur des choses sont celles qui sont décentralisées. M. Douglas avait fait l’erreur de pondre une méthode centralisée, avec un Bureau de Crédit National, et toute une administration pléthorique et coûteuse destinée à rassembler de l’information déjà périmée afin de calculer des chiffres ne représentant rien, et à distribuer de l’argent virtuel.

Armés d’une meilleure connaissance de la valeur, nous pouvons concevoir une méthode plus efficace que cela pour coupler la quantité d’argent et la richesse réelle. Allez, un petit effort, comment mesurer la valeur de ce que chacun possède avec une mesure commune, tout en sachant que la valeur de chaque chose diffère entre chaque personne ?

Personne ?

Un indice: cette mesure commune ne peut se déterminer que par sa contre-valeur, rappelez-vous, sinon c’est de la fausse monnaie.

Non ? 😦

Bon, la solution c’est de laisser tout le monde faire sa propre monnaie. J’ezplike: la valeur de vous possèdez et êtes prêts à échanger constitue la contre-valeur disponible pour émettre votre propre monnaie. Et quand vous émettez de la monnaie et la donnez à quelqu’un dans un échange, c’est comme si le vendeur vous faisait crédit sur le gage de la contre-valeur que vous engagez. Autrement dit, du point de vue du vendeur, l’argent est une forme de crédit consenti à ses clients. En généralisant, l’argent est simplement un crédit de contre-valeur, d’où notre conception d’un crédit social où chacun émet sa propre monnaie. Le chiffre que vous mettez sur votre monnaie n’est pas important en lui-même (1 million, 1000, 1, peu importe, ce qui compte, c’est la comparaison entre les prix exprimés dans la même monnaie), donc il est possible d’établir un chiffre commun: de là, la monnaie de l’un peut s’échanger un-pour-un avec la monnaie de l’autre.

Problème: comment être sûr que quelqu’un ne va pas abusivement multiplier sa contre-valeur disponible en la prêtant à plusieurs personnes à la fois ? Réponse: On ne peut pas être sûr, pas plus que dans le système actuel. Le mieux que l’on puisse faire, c’est de n’accepter que la monnaie de ceux en qui on a confiance, et seulement à hauteur de cette confiance.

Cela introduit un autre problème: comment vont faire deux personnes qui ne se connaissent pas pour commercer ? Réponse: en réalisant des conversions de la monnaie de l’un jusqu’à la monnaie de l’autre à travers les personnes que l’un et l’autre connaissent en commun.

Ce qui entraîne un nouveau problème: comment réaliser toutes ces conversions en chaîne ? Réponse: puisque l’argent est un système décentralisé d’information sur les valeurs, le paiement est un simple problème de routage, et on peut résoudre notre problème de manière efficace en utilisant n’importe quel algorithme de routage décentralisé.

Ce genre de système s’appelle un crédit bancaire en réseau social, ou Hawala. Illustrons un peu tout ce fouillis:

Je connais bien Laurett. Nous avons confiance mutuellement en matière d’argent, et elle et ses parents se font confiance mutuellement aussi. Je lui vends mon ancien ordinateur pour une somme donnée, mettons 600: elle me donne un crédit de 600, c’est-à-dire qu’elle me doit alors 600. Si par la suite je rachète la voiture de ses parents pour 1000: je dois 1000 à ses parents, ce qui se traduit par une dette de 1000 de Laurett vers ses parents, et une dette de 1000 de moi vers Laurett, ce qui s’ajoute à la dette de 600 dans l’autre sens et fait qu’au final je lui dois 400. Le processus peut être automatisé très facilement grâce à l’Internet: chacun possède son propre serveur gérant les dettes avec ceux en qui il a confiance, communiquant entre eux pour résoudre les chaînes de confiance de l’un vers l’autre. C’est un système extrêmement sûr (aussi sûr que le contrôle d’accès à votre propre serveur, en fait), dans lequel on ne peut pas être volé, mais seulement fraudé par quelqu’un en qui on a confiance.

Et si il n’y a pas de connaissances communes de confiance ?


Imaginons que Roméo Montague veut faire affaire avec Juliette Capulet, alors qu’aucun Capulet n’a de relation commune avec un Montague, pas même chez leurs fournisseurs, les clients des artisans des deux familles, ni leurs éventuels créanciers, ni aucune relation de ces gens-là, etc… et réciproquement: le monde tout entier est coupé en deux et il n’y a pas de chaîne de confiance entre ces deux ensembles, admettons.

Rien n’empêche alors Roméo et Juliette d’en créer une entre eux, s’ils ont confiance l’un envers l’autre. Le montant maximum de cette relation de crédit représentera l’étendue de cette confiance, et des garanties peuvent être prises de part et d’autre, tout comme un éventuel intérêt sur le montant du crédit, etc… Et même s’ils ne se font pas confiance malgré tout (aucun d’eux ne veut accepter la monnaie de l’autre car il estime qu’il ne pourra jamais obtenir la moindre contre-valeur en retour), n’importe qui peut se glisser entre eux et se proposer en guise d’intermédiaire, faisant payer son service par un tarif sur chaque transaction, fixe ou en pourcentage, un intérêt courant sur le crédit, etc. afin de s’assurer contre le risque d’un défaut de remboursement, tout en garantissant à l’un et à l’autre d’être payé. Les établissements bancaires privés actuels tout comme les assurances pourraient remplir ce rôle.

Avec ce système, la quantité d’argent en circulation s’ajuste automatiquement à la quantité de richesse disponible, tout en laissant les prix varier librement: l’inflation est nulle du fait que chacun doit garantir ses dettes par de la richesse réelle et que les distortions de valeur ne s’étendent pas au delà des relations de confiance. Sans le moindre registre central, il ne permet à personne d’espionner les comptes d’une autre personne. Cerise sur le gâteau, ce type de monnaie dispose, en pratique, du maximum possible de confiance. C’est un système bancaire très facile à mettre en place, et il en existe des exemplaires depuis très longtemps bien qu’il soit peu répandu en Occident. En distribuant complètement les coûts d’opération et en maximisant la confiance dans le système bancaire, il est bien plus efficace (moins coûteux, plus sûr, plus réactif, moins rigide et plus ouvert) qu’un système traditionnel de banque et de monnaie nationale. C’est une forme éclatée de banque et monnaie libres.

À propos jesrad
Semi-esclave de la République Soviétique Socialiste Populaire de France.

18 Responses to Qu’est-ce que le crédit social ?

  1. Franck says:

    Cher Namu, je me permets une nouvelle fois d’intervenir pour suggérer à vos lecteurs une source d’information complémentaire à vos remarquables articles vulgarisateurs de l’anarcho-capitalisme.
    Il s’agit de Stefen Molyneux, que j’ai moi-même découvert récemment, auteur d’un blog où il expose dans un anglais clair (et abordable pour les anglophiles occasionnels) un ensemble de solutions alternatives à l’état qui pourraient émerger au sein d’un monde libre…
    Bonne lecture.

  2. Mucharaziv says:

    ou sinon, créer une banque centrale controlée par l’état, et l’état controlé par des sages…

  3. jesrad says:

    une banque centrale controlée par l’état, et l’état controlé par des sages…

    Et les « sages » tous formés à l’ENA. Merdalor, c’est ce qu’on a déjà, ou du moins qu’on avait avant Maastricht. Vous vous souvenez ? Inflation à deux chiffres, déficits abyssaux, « la criiise » permanente ? Non pas que la banque centrale contrôlée par les gouvernements européens vaille beaucoup mieux aujourd’hui…

  4. BastOoN says:

    Les liens « fausses monnaies » et « argent virtuel » ne fonctionnent plus !

    Par ailleurs sur le lien « monnaie libre » et plus particulièrement ce paragraphe, j’ai un peu de mal à comprendre le paragraphe suivant :

    (…) Toutefois, la crise monétaire et financière de l’automne 2007 (dite « crise des subprimes ») a poussé un certain nombre d’économistes à tempérer ce point de vue. En effet, cette crise, apparue à la suite d’une titrisation poussée et complexe de dettes de clients peu ou pas solvables, a démontré que le système monétaire privé pouvait arriver à générer de graves crises de liquidité. Il semble que seules les opérations de refinancement massif autorisées par les banques centrales européenne (BCE) anglaise (Bank of England) et américaine (Federal Reserve, ou Fed) aient permis d’éviter un véritable crack financier, qui aurait probablement été suivi d’un effondrement de l’offre de crédit (credit crunch). De ce fait, l’existence de banques centrales décidées à agir, en cas de besoin, de façon appuyée et concertée est à ce jour considéré par nombre d’économistes comme un garde-fou majeur contre l’extension des crises financières à l’économie réelle.

    Et que penses-tu de la conclusion ?

  5. jesrad says:

    J’en pense la même chose que Vincent Bénard: la titrisation des dettes n’est pas en cause et aurait même été un moyen de résoudre le blocage interbancaire.

    Pour ce qui est de la monnaie privée, allez plutôt lire le livre d’histoire fiduciaire britannique « Good Money » d’Henry Selgin, plutôt que Wikipédia francophone.

  6. Martini says:

    Ce que je pense de la conclusion:

    « À l’heure actuelle rares sont les économistes défendant la nécessité d’une monnaie privée. »

    Sophisme d’appel à l’autorité. Poubelle.

    « D’une part, le développement des marchés financiers a répondu à un certain nombre des inefficacités signalées par les promoteurs originels de l’idée. »

    OK, mais ça n’a pas réglé les problèmes systémiques (cycles d’affaires et inflation constante).

    « D’autre part, le mouvement général d’indépendance des banques centrales a considérablement réduit la capacité des États à manipuler la monnaie, ce qui était le souci principal des libéraux. »

    Idem: les problèmes systémiques demeurent. Tu mets un tutu à un ours, ça reste un ours incapable de faire des entrechats.

    « Surtout, le fonctionnement pratique d’une monnaie privée poserait des problèmes informationnels importants. Avant toute transaction, les agents devraient ainsi lire attentivement toutes les conditions du contrat de monnaie, tous les contrats n’étant pas aisément comparables en raison du grand nombre de termes contractables. Cette difficulté serait encore augmentée en l’absence d’une unité de compte commune, rôle aujourd’hui tenu par les monnaies étatiques. »

    Foutaises. Ce n’est pas du tout comme ça que ça fonctionne dans le monde réel. On dirait que ça a été pondu par quelqu’un qui ignore tout de l’émergence, donc incapable de comprendre le fonctionnement d’un marché.

    « La plupart des économistes s’accordent ainsi à penser que les coûts de transaction en présence d’une multiplicité de monnaies privées seraient très élevés. »

    Encore un sophisme d’appel à l’autorité. Re-poubelle.

    « L’alternative serait une circulation minoritaire de monnaies privées, la monnaie étatique servant de référence commune. En pratique, cela est très peu différent de l’existence de marchés financiers très liquides tels qu’ils se sont développés depuis les années 1980. »

    Et de nouveau les problèmes systémiques d’une monnaie commune unique, avec ses propres problèmes informationnels bien plus graves. Il n’y a pas besoin d’une telle monnaie étatique unique de base, un métal précieux comme l’or et l’argent a déjà fait ses preuves sur des siècles d’expérimentation, au-delà de tout ce que les systèmes à banques centrales ont accompli jusqu’ici.

    Soit dit en passant: Wikipedia FR, c’est de la grosse merde. Consultez toujours la version anglophone.

  7. Mucharaziv says:

    non, pas des « sages » narcissiques, élitistes, égocentriques et malsains… mais des sages, avec une certaine spiritualité (et non des théocrates) qui appliquent a l’économie une certaine morale, qui ne fabriquent pas une certaine lutte des classes nauséabonde, mais qui simplement qui oriente la politique vers un besoin collectif, humaniste, et progressiste sur le plan scientifique…

    c’est idéaliste mais c’est mieux que d’écrire « das kapital » pour briser un ordre établi, d’opposer des gens sur des criteres minables (bourgeois/ouvriers) et d’etre en parti responsable de génocides… (je grossis un peu le trait, mais c’est fait expres, c’est mon hommage personnel a K.M.)

  8. jesrad says:

    C’est le mythe de « l’homme providentiel ». Désolé, mais il ne suffit pas d’élire « les bons ». Le coeur du mal est dans le principe même de vouloir faire le bien de force. Loi fondamentale de la politique: les moyens sont les fins.

  9. Mucharaziv says:

    c’est bien de parler, de critiquer, mais ne rien proposer c’est tout aussi grotesque !

  10. jesrad says:

    Pour ce qui est de proposer, j’ai déjà largement rempli ces pages… Confédération de cités libres à la sauce Bellegarrigue/Hoppe, Zénarchie Discordienne, panarchie, démocratie véritable avec de vrais morceaux de subsidiarité absolue dedans, et bien sûr agorisme en guise de plan d’action politique.

  11. Mucharaziv says:

    cela ne peut marcher ! car la fainéantise intellectuelle est trop importante… dans tous ces systemes, il y aura a un moment donné un « plus fort que les autres » (la loi du marché) et qui pourra donc corrompre les ames, moi ce que je propose c’est une revolution intellectuelle pour toute l’humanité, car on sait tres bien que si tous les hommes sont tres éclairés, le malin n’égarera pas le faible d’esprit, et si cela arrive, il y aura une population trop eveillée pour laisser faire et maintenir ce systeme… tout en y mettant un marché libre sans taxes

    je sais comment je pourrais nommer ce systeme… pourquoi pas la « démoluminescence agorico-terrestre » ?

  12. jesrad says:

    Si ça ne peut pas marcher, expliquez-moi donc pourquoi ça a très bien marché pour des millions de gens pendant des siècles ?

  13. BastOoN says:

    Merci Martini pour cet éclairage, c’est à peu près ce que je subodorais.

    Je vais aller faire un tour sur ton Good Money, Jesrad.

    Mais cela sous-tend que je vais devoir me remettre à un usage de l’anglais plus quotidien, ça ne devrait pas me faire de mal !

    Sinon, Mucharaziv, que dire… serais-tu un troll ou un aspirant-gourou, la démoluminescence ??? Je connaissais la Chimiluminescence, mais là !

    M’enfin, je vois que le débat bat son plein sur un autre article… (au passage, comment se fait-il que les commentaires soient en avance temporelle sur ma propre horloge ?! sur quel fuseau horaire es-tu ?)

  14. Mucharaziv says:

    ce qui est interessant c’est pas que ça marche, c’est que ça dure ! tu me dis que cela a duré des siecles, super ! et maintenant ?

  15. jesrad says:

    Et maintenant quoi ? La « fin de l’histoire », très peu pour moi.

    (le fuseau horaire est réglé par WordPress, en tant qu’américains ils ont leur « daylight savings » plus tard que nous je crois)

  16. Mucharaziv says:

    Jesrad, tu n’as pas répondu a ma question concretement.

    Je supprime les insultes gratuites. C’est comme ça.

  17. jesrad says:

    Je l’ai déjà dit: ce que je préconise n’est pas un point final, un but à atteindre, une utopie toute faite à la fin de l’Univers l’Histoire. C’est une direction à suivre, un mouvement, une tendance de changement. Plus de détails ici.

  18. Mateo says:

    Et quelques années plus tard, apparaissait Ripple (le réseau et la crypto-monnaie associée) qui mettait en pratique, de façon décentralisée et sécurisée, le concept d’Hawala…

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