Qu’est-ce que le consumérisme ?

Aujourd’hui, dans notre cours de praxéologie aléatomadaire, nous allons nous plonger dans les affres du… consumérisme !

Le consumérisme est un concept inventé au cours du XXème siècle par une bande de barbus sinistres et étatistes pour avoir quelque chose à reprocher à leurs adversaires non-barbus, non-sinistres et non-étatistes. Il est encore utilisé aujourd’hui par ces gens-là ou leurs descendants pour faire diversion, comme par exemple dans ce dialogue typique:
– Pauvres cubains ! Castro leur impose jusqu’à la quantité, au gramme près, de viande et de pain qu’ils peuvent obtenir chaque mois. Même les esclaves noirs qui trimaient là au XVIIIème siècle étaient mieux nourris.
– Mais au moins, la société cubaine n’est pas victime du consumérisme matérialiste occidental décadent et bourgeois !

Comme on peut le voir ici, le consumérisme est traditionnellement associé au matérialisme, un courant de pensée consistant à refuser l’animisme et nier l’existence d’esprits, de fées et autres consciences mystiques qui seraient cachées en dehors de la réalité. Mais bien entendu, parler de « consumérisme matérialiste » constitue en fait une confusion sémantique, dans la novlangue postmoderne en vogue aujourd’hui. Il signifie réellement que l’on reproche au consumérisme de ne s’intéresser qu’aux richesses matérielles plutôt qu’aux richesses spirituelles. Ce sens pose problème de nos jours, puisqu’à mesure que la production économique s’oriente principalement vers la fourniture de services plutôt que de biens, apparaît un consumérisme non-matérialiste dans nos contrées, de plus en plus visible, et à caractère bel et bien spirituel (même s’il est très souvent clinquant et « cheap », production de masse oblige): coaching, bien-être, conseils, action caritative ou écologique et toutes autres sortes de possibilités de dépenser son fric de manière « responsable, solidaire, durable, festive et citoyenne », c’est-à-dire grosso modo morale (ou plutôt moralisante), se multiplient. Le règne de l’éthique chic et snob est sur nous. A long terme, les héritiers des barbus sinistres pourraient se retrouver dans une impasse, ne pouvant plus reprocher son attachement matériel à un consumérisme devenu carrément transcendantal. Pour cette raison, il faut s’attendre à voir le sens original revenir à la mode d’un instant à l’autre.

Bon, et cette diversion entendue, qu’est-ce que c’est que le consumérisme ?

Il s’agit tout simplement d’une attitude globale: l’orientation d’une civilisation entière vers la satisfaction des désirs.

Revenons aux bases de la praxéologie: toute action entreprise par un être conscient démontre une intention (produit de la nature de cet être, que cette intention soit consciente ou pas) donc un désir. De fait la totalité de nos actes consiste, directement ou non, à satisfaire ces désirs – d’où le consumérisme omni-présent visible dans chaque culture d’une manière ou d’une autre, à des degrés divers, et qui reflète nécessairement un peu toutes les médiocrités, toutes les absurdités, et toutes les déraisons des hommes. S’en étonner revient à s’étonner de ce que tout ce qui a du succès auprès des masses soit vulgaire et populaire – confusion entre la cause et l’effet. Le consumérisme est donc un produit de la coopération pacifique de masse entre les hommes, résultat de toute paix prolongée. C’est un exutoire à la créativité de l’homme, la soupape de sécurité de ses passions, là où passe toute son énergie lorsqu’il ne l’emploie pas à massacrer son voisin, ce qui explique qu’il soit historiquement associé aux sociétés ayant établi une rule of law décente.

Il existe cependant un courant moraliste, que j’appelle néo-puritanisme mais que vous pouvez choisir de nommer autrement si ça vous chante, qui s’offusque de l’individualisme intrinsèque de cet état de fait. Individualisme qui, d’ailleurs, n’est égoïste qu’en apparence: je l’ai déjà mentionné il y a quelques temps, il n’existe pas d’anti-égoïsme, l’altruisme étant simplement la satisfaction d’un désir de l’autre (c’est un égoïsme aliéné – je ne juge pas, je constate). Le néo-puritanisme s’oppose au consumérisme, il tente d’enrayer la satisfaction des désirs de chacun par réaction à cet égoïsme perçu comme Le Mal©. Dans ce but il ne saurait réaliser les désirs des néo-puritains, car ce serait trop contradictoire: à la place ces derniers projettent leurs propres désirs et intentions sur des non-personnes de leur invention, tout en empêchant la satisfaction des désirs des personnes. Et l’altruisme se fait flinguer au passage, dommage collatéral de cette lutte.

Ainsi, les néo-puritains, effrayés et dégoûtés par leur propre libre-arbitre (mais surtout par celui des autres), s’empressent de réclamer des chaînes pour eux-mêmes et tous ceux qui les entourent (et surtout ces derniers) afin de remettre toute capacité de décision et de satisfaction des désirs entre les mains de non-personnes, entités fictives ou idéalisées et comme telles présumées non-égoïstes – donc « pures » – issues de leur imagination, comme les commissions d’évaluation, comités d’experts et autres avatars d’un gouvernement absolument bienveillant et totalement désintéressé. Revoilà nos fées, esprits et autres consciences mystiques cachées en dehors de la réalité ! En d’autres temps on eût sacrifié des poules, des chèvres ou des moutons à quelque divinité omnipotente et au bénéfice de ses prêtres ou de ses shamans – à chaque époque son style et son clergé de Grisfaces étriqués.

Au coeur du « raisonnement » néo-puritain, il y a une croyance ferme et particulièrement perverse: en effet ils sont tous persuadés, à un niveau ou un autre, que la frustration des désirs humains élèverait moralement l’homme. Tout ce qu’ils aiment dans l’Homme, c’est la victime, et certainement pas l’être capable de transcender sa nature. Ils n’ont de fraternité qu’à travers le malheur qu’ils voient dans l’autre, reflet de leur propre agonie intérieure. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils adorent les pauvres quand ils sont anonymes et hors de portée de narine, les criminels quand ils sont capturés et accablés, les morts quand ils servent leur cause, les gens célèbres quand ils échouent dans leurs projets, etc… Quand je vous disais que c’étaient des tordus ! Peine-à-jouir, sociopathes, censeurs et masochistes, même combat: empêcher chacun d’avoir ce qu’il veut, pour lui « apprendre ».

Lui apprendre quoi, au fait ? Lui apprendre à se soumettre, bien sûr. Soumettez-vous à la supra-volonté des non-personnes non-existantes parfaites que j’ai imaginé, pour vous purifier de votre égoïsme ! N’existez plus pour vous-même ni pour personne en particulier, mais seulement pour nos concepts nébuleux et mystiques ! Mort au consumérisme ! Voilà le fond de leur message. Vous trouverez les sacs à vomi sous vos sièges.

P’tit Pierre, assis sur un banc dans le parc, mangeait des barres chocolatées l’une après l’autre. Il en était à dévorer la sixième lorsqu’un homme assis sur le banc d’en face, qui l’avait regardé faire, lui dit: « Fiston, tu sais que manger toutes ces barres c’est mauvais pour toi ? Ca va te gâter les dents et te faire grossir. » P’tit Pierre lui dit: « Mon arrière-grand-père a vécu 107 ans. » L’homme demanda: « Est-ce qu’il mangeait les barres chocolatées 6 par 6 ? » P’tit Pierre répondit: « Non. Il s’occupait des ses putains de propres affaires. »

À propos jesrad
Semi-esclave de la République Soviétique Socialiste Populaire de France.

9 Responses to Qu’est-ce que le consumérisme ?

  1. Franck says:

    «Ainsi, les néo-puritains, effrayés et dégoûtés par leur propre libre-arbitre (mais surtout par celui des autres), s’empressent de réclamer des chaînes pour eux-mêmes et tous ceux qui les entourent (et surtout ces derniers)…»

    Tiens, une interprétation possible de ce qui mène vers The People Romance?…

  2. jesrad says:

    Je crois qu’il y a un lien, oui.

    Les néo-puritains, en voyant dans la frustration et l’échec individuel une source d’élévation morale, percevraient en fait le bonheur synthétique qui y est associé. De là, il se crée une « joie du martyr commun », une sorte de bonheur de sacrifier ensemble. Ajoutez-y un peu de moraline, et voilà une nouvelle idole à adorer, sous quelque forme qu’elle apparaisse, avec des ennemis communs contre lesquels il faut se mobiliser, tous ensemble, tous ensemble, etc.

  3. Luis says:

    L’article me paraît bien, mais l’histoire de Ptit Pierre me semble plutôt être un cas de refus de l’autorité (naturelle et raisonnable dans ce cas) qu’un refus du puritanisme !

  4. jesrad says:

    L’autorité du premier branleur venu ? Naturelle et raisonnable ?

  5. Luis says:

    Bah quand même ! Il est manifestement plus vieux et ce qu’il dit est loin d’être idiot… Pour le coup, j’ai envie de mettre une claque au gosse ! Au passage, où sont les parents ?

  6. jesrad says:

    Olga l’autruche m’est témoin que, si un connard venait me donner des leçons pendant que je soigne une crise d’hypoglycémie, j’aurais aussi envie de l’envoyer paître.

  7. Luis says:

    Tout le monde n’est pas hypoglycémique, loin de là. L’argument « Quand on ne sait pas, on ne fait pas » a ses limites. Et ici, ce « connard » n’a quand même pas été jusqu’à prendre des mains les barres du gosse « pour son bien ». Donc je continue de penser que P’tit Pierre est un impertinent (et grossier, de surcroît).

  8. jesrad says:

    Précisément. Une telle verve, ça se perd, de nos jours.

  9. Martini says:

    J’aime bien le dialogue d’exemple. Le libéral parle des Cubains, alors que le communiste parle de « la société cubaine ». Perso, j’adore ce genre de petit détail parlant.

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