Qu’est-ce que le socialisme stigmergique ?

Aujourd’hui, dans notre cours de praxéologie aléatomadaire, voyons ensemble ce qu’est… le socialisme stigmergique !

Le socialisme stigmergique est, comme son nom l’indique, un socialisme. Et comme son nom l’indique aussi, il est stigmergique.

Certes, certes. Et ?

La stigmergie est la stimulation des agents collaborant à une tâche par le résultat, ou plus exactement par les multiples résultats élémentaires intermédiaires, de cette tâche. Cette stimulation se fait généralement à l’aide de marqueurs modifiant (marquant) l’environnement.

L’exemple classique de stigmergie est la construction collective par les termites de gigantesques structures de terre équipées de tunnels imbriqués, de chambres, etc. Pour réaliser une tâche d’une telle complexité et d’une telle taille, les termites se contentent de ramasser un peu de boue quand elles sont désœuvrées, de marquer cette boulette avec des phéromones, et de la déposer là où la concentration de ces phéromones leur semble élevée. Un tas se forme là où la boue est la plus accessible. Et plus le tas grandit, plus la concentration des dépôts augmente avec celle des phéromones, tandis que le mouvement des termites assure la formation puis le maintien des galeries, et lorsque d’autres activités deviennent possibles à l’intérieur, la formation et le maintien des chambres correspondantes. Et ainsi de suite jusqu’à ce que la termitière soit bâtie à la satisfaction de chacun des agents.

Bref, c’est un moyen très simple d’organiser de manière décentralisée le partage des tâches parmi des tas d’individus pas coordonnés qui peuvent avoir leur propre idée du but à atteindre, ou avoir envie, tout à coup, d’aller faire autre chose comme chercher à boire ou à manger. Imaginez un peu si vous deviez dire à chaque termite, à son tour, de ramasser de la boue, puis de se déplacer, puis de la déposer, etc., et si vous deviez en plus vérifier systématiquement que chacune fait bien ce que vous lui avez dit de faire, et gérer en plus pour chacun le partage entre cette tâche et les autres permettant la survie de l’ensemble… c’est proprement impossible même pour un humain, pourtant hautement plus capable qu’une simple termite. C’est grâce à la stigmergie que, pour construire avec succès leur termitière, ces insectes n’ont même pas besoin de communiquer ni de faire le moindre plan. Voilà donc pour la stigmergie.

Rappelons maintenant ce qu’est un socialisme: c’est une organisation des gens qui consiste à obtenir de chacun ce qu’il est capable de fournir, et d’apporter à chacun ce dont il a besoin.

Comme nous l’avons vu ici il y a un moment déjà, celui qui est de très loin le mieux placé pour définir son « besoin » c’est soi-même. Donc le socialisme bien conçu cherche à fournir à chacun ce dont il a envie (et qu’on appelle du nom générique « richesse », et n’est pas limité au domaine matériel).

Comme l’esclavage c’est mal, le socialisme non-maléfique consiste aussi à obtenir de chacun uniquement ce qu’il est disposé à fournir.

Comme on ne peut pas fournir à quelqu’un quelque chose dont quelqu’un d’autre a déjà besoin et se sert déjà sans renier le même principe de base, le socialisme bien pensé doit reconnaître la possession et la primo-acquisition, en plus de considérer que le vol et son extension l’agression sont anti-socialistes.

Comme fournir ce qu’il faut à celui qui en a envie est simultanément une façon de répondre à une envie de la part de celui qui fournit (béh oui), le socialisme bien pensé doit garantir à chacun la possibilité de choisir à qui il fournit la richesse qu’il crée.

Comme on ne peut pas apporter à quelqu’un quelque chose qui n’existe pas (ou pas encore), le socialisme doit stimuler la création de ces richesses. C’est là qu’intervient la stigmergie: elle permet aux désirs de chacun de stimuler la production de chacun pour faire correspondre ce qui est fourni avec ce qui est désiré, directement.

Pour cela, le socialisme stigmergique utilise un moyen simple: chacun peut déposer sur chaque chose des marqueurs indiquant avec quelle force une chose est désirée, un peu comme les phéromones des termites, mais en plus ou moins concentrées. Et pour que la boucle soit bouclée entre la fourniture et la satisfaction des besoins (autrement dit, entre l’offre et la demande) on permet aussi que les marqueurs soient réutilisés par celui qui a satisfait le besoin. Comme ça, c’est la force du désir pour une chose qui stimule directement la création de cette chose, dans le cadre des règles du socialisme bien pensé et non-maléfique déjà vues ci-dessus.

On appelle ces marqueurs « prix d’échange », et la phéromone qui les compose « monnaie ».

Une illustration très vivante et très amusante d’une forme de socialisme stigmergique (qu’on appelle aussi « anarchie de marché ») peut être découverte en dernière partie du roman de science-fiction La Grande Explosion d’Eric F. Russell.

À propos jesrad
Semi-esclave de la République Soviétique Socialiste Populaire de France.

11 Responses to Qu’est-ce que le socialisme stigmergique ?

  1. Ankuetas says:

    Un jour, tu nous feras un livre qui recueillera tout tes textes, tu es je pense le premier à avoir approfondi le libéralisme à ce point. 😉

  2. jesrad says:

    Même pas… L’idée du marché comme socialisme stigmergique vient de Brad Spangler, même s’il ne l’avait pas détaillée. Et la plupart des idées que j’ai pu avoir ont déjà été diffusées par Faré (Fabrice René Rideau). Je galère pour trouver quelque chose d’original qui n’aurait pas déjà été dit ailleurs – avec un peu de chance le modèle de droit alternatif de la propriété intellectuelle que je défends parviendra à se démarquer.

  3. Franck says:

    Faré = François-René Rideau 😉
    Pour Fabrice, tu pensais peut-être à Fabrice Ribet, de http://www.liberaux.org

  4. jesrad says:

    Arg, oui, j’ai confondu les deux sur le coup. C’est bien de François-René, Faré, que je parle, pour les principes sur l’état et la hiérarchie comme émergence de la violence entre individus V.S. la catallaxie comme émergence de la coopération sociale entre les mêmes. Et un paquet d’autres aussi, comme l’inefficience systémique de la redistribution (la loi de Bitur-Camember, c’est de lui).

  5. Franck says:

    En fait, je crois bien qu’à l’origine, la loi de Bitur-Camember a été théorisée par François Guillaumat et Georges Lane. Faré l’a ensuite présentée et reformulée sur son blog.

    Le domaine de réflexion qui me semble plus propre à Faré concerne la croyance magique en l’omniscience et l’omnipotence de l’autorité étatique, présentée par lui comme une pathologie sociale — la Magie Noire.

  6. Ankuetas says:

    Donc, tu avoues que tu cherche à innover.

    Pourquoi pas te lancer dans la philosophie? Ce qui m’énerve dans le libéralisme, c’est bien cela: L’absence de philosophie authentiquement libérale, d’une éthique et vision du monde totale, englobant et dépassant les simples perspectives économiques.

    (Et la loi de Bitur-Camember est bien « invoquée » – vu qu’on parle de magie noire – par Guillaumat. ^^)

  7. Corwin says:

    Intéressant l’histoire des marqueurs…bizarrement ça me fait penser aux meta-data collectées et échangées par les services de marketing dans de nombreux secteurs du commerce sur nos gouts et nos habitudes. Ne serait-ce pas l’ironie ultime si la forme la plus pure de socialisme était exercée par des Marketeux ? Bon après il y a le problème du contrôle de ses données personnelles…et là encore en y pensant à nouveau ça me semble en contradiction avec l’exposition non-biaisée de ses besoins. Sans doute ces données sont elles plus proches de nos besoins, goûts et désirs réels, que ce que nous sommes prêt à admettre en public ou la perception que nous en avons nous même. A méditer.

  8. Corwin says:

    Tant que j’y suis, j’en rajoute une couche sur la suggestion d’Ankuetas : un recueil d’éconovomie trouverait surement preneur, surtout avec un titre comme ça tu vas passer chez Ruquier en revue de presse !

  9. jesrad says:

    Chicalor, le passage chez Ruquier pour la promo, suivi de l’inévitable passage chez Cauet dans la foulée, hein 😀 Avec tout un tas de gauchistes fanatiques pour venir cracher, et en bonus un Alévèque bien remonté pour dire « oui mais non ». Enfin, ce serait l’occasion d’assumer une bonne fois pour toutes mon gauchisme.

    Je pourrais appeler ça « L’économie pour les être humains ». Ou peut-être « L’économie, la migraine en moins (mais la nausée en plus) ». Un truc comme ça.

  10. Ankuetas says:

    Moi j’adore Ruquier. Comme je le dis souvent « En voilà un qui nous ch… allègrement dessus ». Je trouve ça bien, et en plus il l’avoue lui-même, tout du moins le sous-entend.

    Sinon, tu y penses alors, à bosser un peu en philo ? 😛

  11. jesrad says:

    « ça me fait penser aux meta-data collectées et échangées par les services de marketing dans de nombreux secteurs du commerce sur nos gouts et nos habitudes. (…) Sans doute ces données sont elles plus proches de nos besoins, goûts et désirs réels, que ce que nous sommes prêt à admettre en public ou la perception que nous en avons nous même. »

    C’est une question qui est au cœur du débat entre écoles de Chicago et Autrichienne d’économie: que peut-on vaiment savoir et anticiper de nos préférences, de nos choix, qui s’appliquent à l’économie ? Si effectivement ces données collectées permettent de faire des suppositions valables sur nos actions, alors il est possible de bâtir une théorie entièrement empirique, sinon il faut se contenter de faire des mesures et des explications après coup, d’après ce qui est révélé par les faits, et que nous n’avons pas pu anticiper (ce fonctionnement ex post facto fait dire aux détracteurs des Autrichiens que leur modèle économique est tautologique, ce qui n’est pas tout à fait exact). Je penche du côté autrichien, car notre propre compréhension de nos préférences, supposées acquises par ces observations, modifient ces choix et préférences, donc épistémologiquement, c’est une quête vaine (et le marketing a des limites vite atteintes).

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