Réforme: un discret revirement d’opinion dans la fonction publique
jeudi 3 avril 2014 3 commentaires
Pour un grand nombre de libéraux, il est entendu que la fonction publique française est imposible à réformer en pratique, que seul un gouvernement d’une grande fermeté et ouvertement hostile au statut de fonctionnaire (ainsi qu’à tous les avantages catégoriels qui lui sont associés) serait éventuellement à même d’imposer, sans pouvoir éviter une confrontation directe, des réformes comparables à celles qui eurent lieu en Nouvelle-Zélande au siècle dernier. Heureusement, cette vision caricaturale des choses est de plus en plus éloignée de la réalité.
Lors des dernières élections professionnelles se sont vues confirmer des tendances plutôt positives: la semaine dernière à la SNCF par exemple, les syndicats qui privilégient la réforme et la négotiation ont continué de progresser au détriment des syndicats immobilistes.
Les résultats publiés vendredi confirment en effet la montée en puissance de l’Unsa, qui privilégie la négociation à l’opposition frontale. Déjà en progression lors des précédents scrutins, le syndicat augmente son score de 1,5 point, à 23 %, et confirme sa place de deuxième organisation de l’entreprise. « Cela valide notre stratégie basée sur la politique contractuelle », avance un cadre du syndicat.
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La CFDT, le seul des syndicats représentatifs de l’entreprise à ne pas avoir appelé à faire grève contre la réforme, n’a pas été sanctionnée par les électeurs cheminots. Le syndicat progresse de 0,9 point, à 14,7 %.
L’effet disruptif des grèves des services publics, sur lequel comptent les syndicats confrontationnels attachés à la lutte des classes, se fait de moins en moins perceptible, la mobilisation des fonctionnaires baisse à chaque nouvelle occurrence au point que CGT, SUD et FO en arrivent à se ménager sur le recours systématique à la grève.
Pour rappel, presque tous les grands syndicats français ont changé de chef en moins de trois ans, la CFTC avec Philippe Louis, la CFDT avec Laurent Berger, la CGT avec Thierry Lepaon, le Medef avec Pierre Gattaz ou encore la CFE-CGC avec Carole Couvert. Un point commun à pratiquement toutes ces nouvelles têtes: une plus grande propension au dialogue et des vues plus réformistes.
Dans le même temps, des livres brisant le tabou de la critique de la fonction publique par des fonctionnaires, se multiplient, à l’instar du succès populaire « Absolument débordée » de Zoé Shepard, et de ses nombreux spin-offs s’engouffrant dans son sillage.
Tout cela témoigne d’un basculement d’opinion au sein même de la fonction publique française: la prise de conscience d’une part grandissante d’entre eux que le peuple français ne mérite pas d’avoir l’administration la plus chère, la plus privilégiée et la plus absentéiste du monde développé.
Je constate ce changement parmi les fonctionnaires avec qui je travaille, et j’ai eu de la part de libéraux également en contact avec la fonction publique un écho similaire: les choses bougent, lentement certes, mais elles bougent, et par exemple le recours au privé a tendance à être encouragé, l’idéologie fait petit à petit place à un pragmatisme bienvenu, des initiatives d’économie et de dé-bureaucratisation se mettent en place. Ce changement se heurte évidemment aux contraintes monumentales de l’administration ordinaire, mais il témoigne quand même d’un revirement d’opinion chez les individus eux-mêmes.
L’accumulation de casseroles et d’affaires, l’explosion du « système Guérini« , l’avortement tardif du rapport Perruchot sur le financement des syndicats, les échecs de l’état à Florange comme ailleurs, et aussi la communication de l’Ifrap (en particulier sa vice-présidente Agnès Verdier-Molinié), ont sérieusement entamé la confiance qu’avaient les fonctionnaires français dans le rôle politique de leur classe et dans la légitimité de ces syndicats. La nullité patente du gouvernement socialiste d’Ayrault et Hollande a entamé les liens idéologiques qui permettent traditionnellement à la gauche d’instrumentaliser les fonctionnaires.
Pour présenter les choses simplement, j’observe parmi ces fonctionnaires quatre grandes catégories:
– celle des militants, presque toujours syndiqués (principalement Sud, CGT, FO), qui sont mûs principalement par la loyauté à leurs camarades d’idéologie. Ceux dont la « flamme » militante ne s’est pas éteinte à la chute du mur de Berlin voient doucement sombrer leur monde avec l’apathie grandissante des engagés leurs alliés naturels, la baisse progressive de la mobilisation dans les grèves, le recul de leurs syndicats aux élections professionnelles… Ils s’accrochent, un peu en vain semble-t-il, à la distribution de tracts et aux pétitions internes.
– celle des engagés, dont les valeurs se sont figées en mai 68 ou qui ont hérité de celles de parents eux aussi engagés. Ils ne conçoivent pas de travailler dans le secteur privé, sinon comme une trahison de leurs idéaux et de l’intérêt général. Quant aux autres, leur engagement est érodé voire neutralisé par l’accumulation des affaires, le mépris implicite des élites pour le peuple français, et le constat d’échec de la politique socialiste menée par Hollande et Ayrault. Ils doutent.
– celle des réalistes détachés, qui ont conscience que leur classe socio-professionnelle doit abandonner une partie de ses prérogatives et de ses missions, qu’ils doivent se recentrer sur leurs priorités les plus essentielles en laissant de côté la communication, l’esbroufe et le facultatif, au risque de ne plus pouvoir à terme assurer le coeur de leur fonction, mais sans parvenir à prendre d’initiative dans ce sens. Ils restent dans l’expectative en espérant que les circonstances les forceront à faire plus avec moins, et la défaite électorale du PS aux municipales les laisse froids voire les conforte dans leur détachement envers la gauche.
– celle des pragmatiques, qui ont souvent déjà travaillé dans le privé et envisagent sans arrière-pensée d’y retourner. Ils disent de plus en plus ouvertement que la fonction publique doit réduire la voilure, renoncer à ses avantages catégoriels, adopter plus de logique commerciale dans son fonctionnement, sous peine de manquer de respect envers les citoyens, et de détruire toute équité entre public et privé.
Mon sentiment est que les deux dernières catégories sont devenues majoritaires, certes pas partout et particulièrement pas dans les instances dirigeantes de la bureaucratie française, mais je vois bien une telle tendance globale. Si cela se confirme, il pourrait bien y avoir un terrain favorable à de véritables réformes significatives et mêmes efficaces de la fonction publique, plus vite qu’on ne le croit. Mais pour cela il faut que le sommet de l’état accompagne ce mouvement, ce qui va dépendre entièrement des attitudes et motivations de Benoît Hamon, fraîchement nommé ministre du « mammouth » de l’Education Nationale, et de Marylise Lebranchu, nommée à celui de la réforme de l’état et de la fonction publique.
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« le peuple français ne mérite pas d’avoir l’administration la plus chère, la plus privilégiée et la plus absentéiste du monde développé » :
Chacun mérite d’obtenir ce pour quoi il a payé. Les français ont payé (vraiment cher !) pour obtenir le magnifique gouvernement qu’on a aujourd’hui la chance d’observer, alors il serait vraiment injuste qu’ils en soient privés ! Ce gouvernement, ils l’ont voulu tellement fort… Sinon, pourquoi auraient-ils payé pour l’obtenir ?