Innovation sans droit de propriété intellectuelle

Cette étude de Jacob Loshin de l’Université de Yale montre le fonctionnement d’un système émergent d’incitation à l’innovation qui existe en dehors du droit de la propriété intellectuelle: le monde des magiciens.

En effet, les techniques utilisées par les illusionnistes et prestidigitateurs ne sont à peu près jamais couvertes par aucun copyright ni aucun brevet (ni non plus de « trade secret »). Et pourtant, l’innovation est continue dans ce domaine et elle est rentable.

Comment cela se peut-il ? C’est très simple: des normes éthiques ont émergé entre les magiciens formant un accord unanime. Ces normes sont:

  • Respect de la paternité: celui qui invente est l’auteur, c’est un fait et mentir sur ce fait est interdit. Les améliorations sont attribuées elles aussi, sans occulter l’auteur original.

  • Respect du droit de divulgation: tant qu’une technique n’a pas été présentée au public, elle doit rester confidentielle, c’est à dire rester à l’intérieur de la ligue.

  • Non-reconnaissance de « propriété » des informations possédées par d’autres: une fois divulguée, une technique peut être utilisée librement, mais il est impoli de copier la forme de la présentation.

  • Ça vous rappelle quelque chose ? Il y a aussi une addition notable:

  • Réinnovation: celui qui réintroduit une technique utilisée par le passé mais oubliée ou non-usitée depuis est traité comme son inventeur.

  • Le monde des magiciens fonctionne comme les ligues d’auteurs que j’avais évoqué l’an dernier (« C’est ce genre de modèle qui émergerait du “droit de première divulgation”: des associations de recherche, auxquelles chaque participant peut adhérer moyennant finances / contribuer afin de profiter des inventions des autres en retour. »). Ils se partagent leurs secrets et respectent le droit de première divulgation et de paternité, pour contribuer ensemble à l’innovation tout en en profitant en retour de l’exploitation de ces inventions. Le monde non-magicien se voit coupé de la divulgation, car le droit en question est mis en commun et n’appartient donc plus à son seul auteur. Cet aspect est crucial, il définit précisément où se trouve la vrai propriété, et donc le vrai droit: dans l’accès à l’information, et non l’information elle-même.

    Lorsqu’un fabricant d’illusions ou un magicien viole ce droit naturel sur la divulgation, le monde magicien sait obtenir justice par le boycott: plusieurs exemples de toutes sortes sont évoqués dans l’étude. Voilà une façon purement contractuelle d’appliquer un modèle de droit naturel, non ? Il y a aussi une diffusion de l’information vers le monde non-magicien: lorsqu’une innovation est considérée comme ayant rapporté assez, donc qu’elle a perdu la valeur qu’elle peut avoir en tant que secret (la valeur de sa divulgation !), elle est reprise et popularisée auprès du public par divers distributeurs (« popular magic »). On pourrait même dire que les nombreux clubs de prestidigitation basée sur cette « popular magic » joue le rôle d’étage de distribution suivant dans la diffusion de ces informations (un peu comme les chaînes de télé publiques par rapport aux chaînes privées). On peut d’ailleurs noter qu’il y a plusieurs étages aussi à l’intérieur du monde magicien, avec un contrôle d’accès par parrainages au plus haut niveau. Ce dernier point montre que je m’étais trompé sur une chose: les distinctions de standing entre les diverses ligues ne se font pas horizontalement, avec un groupe faisant des trucs populaires mais pas très originaux ou peu impressionnants tandis qu’un autre groupe distinct se spécialise dans le haut de gamme, mais verticalement, de manière concentrique par groupe-de-plus-haute-gamme-dans-le-groupe.

    À propos jesrad
    Semi-esclave de la République Soviétique Socialiste Populaire de France.

    One Response to Innovation sans droit de propriété intellectuelle

    1. nicolas says:

      Merci Jesrad, pour ce resumé. Ca a l’air tres intéressant.

    Laisser un commentaire